EXCERPTS
Avoir à sa charge huit petits bouts de chou de 18 mois n’ayant presque aucune autonomie, jour après jour, semaine après semaine, voilà qui peut user facilement une éducatrice en CPE de 20 ans d’expérience qui a elle-même trois jeunes enfants, dont un couple de jumeaux.
«C’était beaucoup d’ouvrage pour la paie qu’on reçoit», raconte la Trifluvienne Karine Vallières qui, complètement à plat, a récemment quitté cet emploi pour se lancer dans un autre métier.
Son salaire, déplore-t-elle, était plafonné à 25,15 $ l’heure, mais ce n’est pas que l’argent qui a motivé son changement de carrière. Les conditions de travail ont pesé lourd dans la balance, explique-t-elle.
«J’étais passionnée», assure de son côté Hélène Decoste. Cette éducatrice en CPE de 22 ans d’expérience a elle aussi tiré la serviette récemment. «Ça fait 23 ans qu’on se bat pour se faire reconnaître», dit-elle. Pourtant, durant la pandémie, alors que la majorité des Québécois étaient en confinement, «on était en première ligne, rappelle-t-elle. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’on n’était pas plus reconnu du gouvernement.»
À 42 ans, Karine Vallières se félicite d’avoir en poche deux diplômes d’études collégiales. Ça lui a permis de changer complètement de carrière. Assis, à genoux, debout, soumis au bruit assourdissant d’autant d’enfants du matin jusqu’en fin d’après-midi, son corps n’en pouvait plus. Mme Vallières a décidé que le peu d’énergie qui lui restait, elle allait le réserver à ses propres enfants.
Les gens pensent que les éducatrices en CPE ne font que jouer et surveiller les enfants, mais la tâche est beaucoup plus complexe, expliquent les deux ex-éducatrices. Il y a notamment un programme éducatif à appliquer, souligne Hélène Decoste. Mais si ce n’était que cela...
Les deux femmes travaillaient en milieu défavorisé et le nombre d’enfants dans leur groupe respectif ayant des besoins particuliers a augmenté au fil des années. Avant, «on comptait un ou deux enfants par groupe de huit qui avaient besoin de soutien, mais là, c’est rendu qu’on en a 4 ou 5 par groupe. Et on n’avait pas d’aide», déplore Mme Decoste.
Karine Vallières raconte qu’elle avait, dans son groupe, des enfants en dépistage n’ayant pas reçu de diagnostic «et tu n’as pas l’aide tant que l’enfant n’est pas diagnostiqué et ça ne se fait presque jamais avant l’âge de 3 ans», dit-elle. «En plus d’avoir 8 enfants, tu en as qui sont plus difficiles.»
Hélène Decoste, qui s’entraîne régulièrement dans un gym et pratique plusieurs sports, n’arrivait plus à garder cette discipline, faute d’énergie. «Pour moi, ce n’était pas normal de ne plus être capable d’aller m’entraîner. Je passais mes week-ends épuisée», dit-elle.
D’ailleurs, les 11 000 travailleuses des CPE du Québec, sans convention collective depuis 18 mois, étaient en grève vendredi et se sont dotées d’un mandat de grève de 10 jours. Dans un communiqué de presse publié le 16 septembre dernier, ces dernières demandent à Québec des solutions concrètes pour résoudre leur surcharge de travail.
Le travail a changé avec le temps, soutiennent les deux ex-éducatrices. Au début de sa carrière, Karine Vallières s’occupait de six enfants. Puis, ce nombre était passé à huit, illustre-t-elle.
Dans ce domaine, on manque aussi de bras. «Il n’y a plus de travailleuses sur le plancher. On veut prendre des congés, on n’est pas capable. On veut prendre nos vacances, on n’est pas capable», raconte Mme Decoste en déplorant elle aussi le maigre salaire versé aux travailleuses. «Ça fait 7 ou 8 ans que je n’ai pas eu d’augmentation, mais le coût de la vie, lui, monte tout le temps», fait-elle valoir
Hélène Descoste ne regrette pas d’être partie même si elle aimait son travail auprès des petits. Elle vient de se trouver un nouvel emploi en télétravail dans une autre branche et son salaire a augmenté de 5 $ l’heure. Cette dernière a trois semaines de vacances par année dès l’embauche alors que celles qui commencent en service de garde n’en ont que deux, souligne-t-elle. Plusieurs autres avantages sociaux viennent agrémenter son nouveau boulot. «Finalement, c’est une qualité de vie qu’on recherche», résume-t-elle.